IN BETWEEN
SCOTT BURTON, LE CORBUSIER, DONALD JUDD, DAN FRIEDMAN, ELIZABETH GAROUSTE, ALBERTO GIACOMETTI, REI KAWAKUBO, NICOLA L., FRANÇOIS-XAVIER LALANNE, JONATHAN MONK, FRANÇOIS MORELLET, ISAMU NOGUCHI, PAOLO PALLUCCO, NATHALIE DU PASQUIER, GUY DE ROUGEMONT, PHILIPPE STARCK, ROBERT WILSON
La galerie Ketabi Bourdet a la joie de présenter In Between, une exposition collective rassemblant des œuvres de plasticiens, de designers, et plus généralement d’artistes qui évoluent à la frontière entre différentes pratiques artistiques.
À l'image de Bob Wilson, dont la galerie défend le travail depuis 2022, les artistes réunis ici ont fait de l’hybridité un territoire de création. Wilson est metteur en scène, certes, mais aussi scénographe, dessinateur, designer, sculpteur de lumière et de corps. Il conçoit ses spectacles comme des tableaux en mouvement, des compositions visuelles d’une précision extrême. Dans In Between, sont présentés l’un de ses stage drawings, dessins préparatoires aux accents oniriques, ainsi qu’une chaise Hamletmachine, conçue pour sa mise en scène emblématique de la pièce d’Heiner Müller. Chez lui, le théâtre devient espace plastique, le mobilier devient sculpture, et l’image prend le pas sur la parole.
Cette même perméabilité entre les disciplines se retrouve chez Élizabeth Garouste, figure majeure de la création française. Depuis les années 1980, elle développe un vocabulaire singulier, baroque et poétique, à la fois dans le champ du design et dans celui des arts plastiques. Table basse sculpturale en résine rappelant celle du conte Boucle d’Or et les trois ours, peinture gestuelle et instinctive — ses œuvres sont traversées par une énergie vibrante et une imagination sans entrave. Garouste ne cherche pas à séparer l’utile du symbolique : ses objets racontent des histoires, ses formes fonctionnent comme des mythologies intimes. Trop longtemps cantonnée au design, son travail mérite d’être saisi dans toute sa richesse plastique et émotionnelle.
D'autres artistes présents dans l’exposition incarnent également cette tension féconde entre art et design. François-Xavier Lalanne, avec son seau à glace Œuf d’autruche, crée des œuvres qui sont autant des sculptures que des meubles — ou inversement. Son approche s’inscrit dans une tradition surréaliste et zoomorphe, où la fonction se fond dans la forme. Donald Judd, souvent associé au minimalisme, a quant à lui toujours revendiqué une pratique du mobilier indissociable de son œuvre sculpturale : une même rigueur formelle, une même recherche d’épure. Le Corbusier, représenté ici par une œuvre sur papier, est un autre exemple d’un créateur total, architecte bien sûr, mais aussi peintre, théoricien, designer. Ses lignes vibrantes témoignent de cette volonté d’unir art et espace de vie, idée chère au mouvement moderne. On retrouve cette même quête d’un langage global chez François Morellet, dont une chaise illustre ici le prolongement ludique et géométrique de sa recherche abstraite dans le domaine du design. La lampe sculpture Akari d’Isamu Noguchi, enfin, figure essentielle du design organique, incarne quant à elle l’alliance subtile entre sculpture, lumière et poésie du quotidien.
Avec un tableau de Nathalie Du Pasquier — cofondatrice du mouvement Memphis —, In Between explore également une esthétique postmoderne et décomplexée, où les motifs, les couleurs et les formes se jouent des conventions. Passée du design à la peinture, Du Pasquier poursuit une réflexion constante sur la structure, la surface et la composition, fidèle à une approche où les disciplines se répondent librement. Dans cette même veine postmoderne, l’exposition présente également le WW de Philippe Starck — un tabouret assis/debout dont la silhouette énigmatique, à mi-chemin entre objet et sculpture, questionne la frontière entre fonction et contemplation. Sa présence totémique, presque architecturale, en fait une pièce emblématique de cette période où les créateurs s’émancipent des usages codifiés. Enfin, une chaise n°33 signée Rei Kawakubo — prêtée pour l’occasion par une importante collection européenne — vient enrichir cette constellation. Connue pour avoir redéfini les codes de la mode à travers sa marque Comme des Garçons, Kawakubo transpose ici son langage radical dans une pièce de mobilier conceptuelle et minimaliste, pensée comme un élément d’architecture venant ponctuer l’espace de ses boutiques.
Dans cette même logique de brouillage des frontières, In Between accueille également une chaise issue de la mythique série 100 chaises en une nuit de Paolo Pallucco, présentée pour la première fois à la galerie Mazzoli à Modène en 1990 (première galerie à exposer Jean-Michel Basquiat en Europe !). Cette série, qui oscille entre performance, mobilier expérimental et sculpture critique, incarne avec force l’esprit du postmodernisme européen, entre humour, subversion et recherche formelle extrême. Ces œuvres prolongent toutes l’héritage du postmodernisme, qui a ouvert un espace de liberté formelle et intellectuelle dans lequel les artistes et designers n’ont plus à choisir une case, mais peuvent activer plusieurs registres à la fois.
Une œuvre sur papier d’Alberto Giacometti vient rappeler qu’au-delà de ses sculptures longilignes et existentielles, il fut aussi un dessinateur subtil et un créateur de pièces de mobilier sculptures dont les lignes révèlent une attention presque tactile au corps. Nicola L., artiste pionnière et engagée, incarne elle aussi cette liberté de ton et de forme, en créant des œuvres où le corps, l’objet et la narration s’entrelacent. Enfin, la présence de Guy de Rougemont — dont la galerie représente la succession depuis 2024 — s’inscrit comme un lien naturel dans cette constellation. Un tableau des années 1990, aux formes architecturées et aux couleurs vibrantes, témoigne de son travail entre peinture, sculpture, mobilier et architecture : un langage global, libre, dont la galerie poursuit aujourd’hui la valorisation.
Tous ces artistes ont en commun d’avoir été classés, selon les époques et les contextes, tantôt dans les arts visuels, tantôt dans les arts décoratifs, mais rarement dans une lecture globale de leur œuvre. Cette compartimentation reflète une certaine vision moderne de la création, fondée sur la spécialisation et la hiérarchie entre les disciplines.
Or, c’est précisément cette lecture que la galerie entend interroger. Depuis sa création, elle s’attache à défendre des artistes qui échappent aux catégories, qui circulent librement entre les médiums, les codes et les usages. In Between s’inscrit pleinement dans cette démarche.
En rassemblant ces figures souvent considérées comme inclassables, cette exposition affirme une position : celle d’un regard qui accepte les zones grises, célèbre les ambiguïtés et valorise les formes d’expression transversales. Car c’est dans cet entre-deux — ni tout à fait art, ni tout à fait design — que naissent parfois les œuvres les plus singulières, les plus libres, et peut-être les plus actuelles.
La galerie remercie les prêteurs pour leur aide dans l’organisation de cette exposition : les galeries Hélène Bailly, Downtown - François Laffanour, Semiose, Mitterrand, Zlotowski, ainsi que la Collection Saint Laurent et deux importantes collections privées européennes.
Galerie Ketabi Bourdet is delighted to present In Between, a group show featuring works by visual artists, designers and, more generally, artists working at the frontier between different artistic practices.
Like Bob Wilson, whose work the gallery has been promoting since 2022, the artists gathered here have made hybridity their creative territory. Wilson is not only a stage director, but also a scenographer, artist, designer and sculptor of light and body. He conceives his shows as moving tableaux, visual compositions of extreme precision. In Between showcases one of his stage drawings, preparatory drawings with dreamlike overtones, as well as a Hamletmachine chair, designed for his emblematic staging of Heiner Müller's play. For him, theater becomes plastic space, furniture becomes sculpture, and image takes precedence over speech.
This same permeability between disciplines is found in Élizabeth Garouste, a major figure in French creation. Since the 1980s, she has been developing a singular, baroque and poetic vocabulary in both design and the visual arts. From the sculptural resin coffee table reminiscent of Goldilocks and the Three Bears to her instinctive, gestural painting, Garouste's work is infused with vibrant energy and unfettered imagination. Garouste does not seek to separate the useful from the symbolic: his objects tell stories, his forms function as intimate mythologies. Too long confined to design, her work deserves to be understood in all its plastic and emotional richness.
Other artists in the exhibition also embody this fertile tension between art and design. François-Xavier Lalanne, with his ostrich egg ice bucket, creates works that are as much sculpture as furniture - or vice versa. His approach is in keeping with a surrealist, zoomorphic tradition, where function merges with form. Donald Judd, who is often associated with Minimalism, has always claimed that his furniture practice is indissociable from his sculptural work: the same formal rigor, the same quest for purity. Le Corbusier, represented here by a work on paper, is another example of a total creator, architect of course, but also painter, theorist and designer. His vibrant lines testify to his desire to unite art and living space, an idea dear to the modern movement. The same quest for a global language can be found in François Morellet, whose chair here illustrates the playful, geometric extension of his abstract research into design. Last but not least, Isamu Noguchi's Akari lamp sculpture, an essential figure of organic design, embodies the subtle alliance between sculpture, light and the poetry of everyday life.
Featuring a painting by Nathalie Du Pasquier - co-founder of the Memphis movement - In Between also explores a postmodern, uninhibited aesthetic, where motifs, colors and shapes play with convention. Having moved from design to painting, Du Pasquier continues to reflect on structure, surface and composition, faithful to an approach in which disciplines freely respond to each other. In the same postmodern vein, the exhibition also features Philippe Starck's WW - a sitting/standing stool whose enigmatic silhouette, halfway between object and sculpture, questions the boundary between function and contemplation. Its totemic, almost architectural presence makes it an emblematic piece of a period when designers were emancipating themselves from codified practices. Finally, a chair n°33 by Rei Kawakubo - on loan for the occasion from a major European collection - completes this constellation. Known for redefining fashion codes through her Comme des Garçons brand, Kawakubo here transposes her radical language into a minimalist, conceptual piece of furniture, conceived as an architectural element punctuating the space of her boutiques.
In keeping with this logic of blurring boundaries, In Between also features a chair from Paolo Pallucco's legendary 100 chairs in one night series, first shown at Modena's Mazzoli gallery in 1990 (the first gallery to exhibit Jean-Michel Basquiat in Europe!). This series, which oscillates between performance, experimental furniture and critical sculpture, powerfully embodies the spirit of European postmodernism, with its blend of humor, subversion and extreme formal research. These works all continue the legacy of postmodernism, which opened up a space of formal and intellectual freedom in which artists and designers no longer have to choose a box, but can activate several registers at once.
A work on paper by Alberto Giacometti reminds us that, in addition to his slender, existential sculptures, he was also a subtle drawer and creator of sculptural furniture pieces whose lines reveal an almost tactile attention to the body. Nicola L., a pioneering and activist artist, also embodies this freedom of tone and form, creating works where body, object and narrative intertwine. Finally, the presence of Guy de Rougemont - whose estate the gallery has represented since 2024 - is a natural link in this constellation. A painting from the 1990s, with its architectural forms and vibrant colors, bears witness to his work between painting, sculpture, furniture and architecture: a global, free language, which the gallery continues to promote today.
What all these artists have in common is that, depending on the period and context, they have been classified as visual or decorative artists, but rarely as part of an overall reading of their work. This compartmentalization reflects a certain modern vision of creation, based on specialization and hierarchy between disciplines.
Yet it is precisely this reading that the gallery intends to question. Since its creation, it has been committed to defending artists who escape categories, who move freely between mediums, codes and customs. In Between is fully in line with this approach.
By bringing together these figures often considered unclassifiable, this exhibition affirms a position: that of a gaze that accepts grey areas, celebrates ambiguities and values transversal forms of expression. For it is in this in-between - neither quite art, nor quite design - that the most singular, freest and perhaps most contemporary works are sometimes born.