Inès Longevial, Chaotic Energy : Christie's Paris, 9, avenue Matignon - 75008 Paris
Après une année entière marquée par les restrictions, Inès Longevial signe un ensemble d’autoportraits figurant une attente, stylisée et contrainte, où la couleur occupe le temps, comble une solitude latente.
Née en 1990 à Agen, Inès Longevial travaille le dessin et la peinture en résonance avec des impressions, des sentiments, des sensations dont elle extrait naturellement la palette. L’artiste aborde ses souvenirs en couleurs et donne forme à des visages candides et absorbés, qui portent la nostalgie des saisons, des couchers de soleil, des nuances de lumière et des caresses.
Inès Longevial s’adonne dans un premier temps au dessin, qu’elle pratique à la manière d’un carnet de bord, avec une liberté et une spontanéité gestuelle effleurant l’univers de la tendre enfance. Cet exercice quotidien lui donne le ton pour aborder, ensuite, la peinture. La nouvelle série Domino relie pour la première fois aussi clairement les deux media, la peinture découlant naturellement du dessin. Si, dans l’œuvre de l’artiste, les visages deviennent souvent le lieu d’une ornementation fantasque, trouvant ses racines dans un patchwork de couleurs vives, cette nouvelle série tend vers un plus grand dépouillement et joue surtout sur les variations chromatiques.
Inès Longevial conçoit ces œuvres plus concises comme les fruits d’une période de privation où il n’est plus possible, pour un artiste, de se nourrir de rencontres, de voyages, de découvertes, où une routine somnolente et sans saveur s’impose comme une ombre menaçante. Sa fantaisie débordante laisse ainsi place à une recherche plus concentrée, un brin analytique et quasi sérielle, autour d’une posture du corps qui a tout d’une allégorie actuelle : artificielle, incommode bien que séduisante, à peine contenue par la toile, elle signifie le désœuvrement, l’inconfort des espaces restreints, le malaise des incitations sociales à paraitre sous son meilleur jour. L’attitude silencieuse de cette femme, déclinée dans plusieurs gammes de couleurs et prise dans un jeu de bras alambiqué fait écho à La Buveuse d’absinthe de Picasso, absente à elle-même, repliée dans ses pensées. On comprend d’où vient cette attirance pour la complexité d’une pose qui est aussi un exercice de style, une forme d’excentricité où se manifestent certaines affinités avec la photographie de mode. Dans un autre registre, l’artiste revendique également l’influence de plusieurs portraits de Paula Modersohn-Becker, empreints d’une simplicité paysanne où les mains, au repos, occupent une place cruciale.
Pour Inès Longevial qui reconnaît chez Matisse une intensité sensorielle à l’origine de sa propre vocation artistique, la couleur est un prisme d’appréhension du monde et devient toujours, dans ses toiles, l’expression d’un moment intériorisé. Chaque saveur, chaque atmosphère s’impose à elle dans un spectre chromatique propre, auquel le dessin se soumet. Mais dans une période peu propice aux émois, l’artiste reconnait que ce travail récent de la couleur fait l’objet d’une démarche plus aléatoire et expérimentale. Ainsi, cet ensemble constitue une déclinaison autour des polarités souvent réductrices que l’on nomme « couleurs chaudes » et « couleurs froides », mêlées au sein même de la figure et du fond ou bien séparées de façon radicale dans les peintures de la série Domino. Les œuvres de cette série fonctionnent donc parfois par paire, en miroir, sur le principe d’une subtile inversion des tons, évoquant des négatifs ou un certain processus de la couleur dans le champ de la photographie argentique. Pour autant, les moyens mis en œuvre sont bien ceux d’un peintre coloriste : l’artiste applique une première couche d’une teinte très vive à la surface de sa toile et qui transpire par endroits, soutenant des verts tendres, des roses délicats, des mauves lumineux et des jaunes printaniers, comme extraits de la palette de Pierre Bonnard. Cette couleur première infuse chaque ton, perturbe leur indexation au schéma des « couleurs chaudes et froides » et décide ainsi, discrètement, de l’atmosphère du tableau. Des rouges plus vifs ou des oranges solaires réveillent ces compositions, qui laissent une grande latitude aux ombres, elles-mêmes toujours colorées. Aussi, ces œuvres tirent progressivement vers des teintes corrosives, qui culminent dans Peach Skin: ce tableau s’éloigne un peu plus de toute prétention naturaliste avec une gamme pop allant jusqu’à l’orange fluo, signe d’un feu intérieur dont la manifestation est inédite.
Marquée par la lecture du journal de Virginia Woolf, Inès Longevial reconnait dans les liens qu’entretiennent l’écriture et la mélancolie sa propre intimité à l’égard de la peinture. Et devant cette série d’autoportraits par temps de pandémie, on serait tenté de convoquer les mots d’Albert Camus : « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été. »
E. Keyl
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Inès Longevial, Beetroot and Fig, 2021
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Inès Longevial, Big Domino Orange Blue, 2021
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Inès Longevial, Big Domino Purple Orange, 2021
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Inès Longevial, Chaotic Energy 1, 2021
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Inès Longevial, Dimensions of Love, 2021
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Inès Longevial, Domino Blue Orange, 2021
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Inès Longevial, Domino Green Red, 2021
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Inès Longevial, Domino Orange Purple , 2021
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Inès Longevial, Domino Purple Blue, 2021
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Inès Longevial, Domino Purple Orange, 2021
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Inès Longevial, Domino Yellow Red, 2021
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Inès Longevial, Lemon and Blueberry, 2021
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Inès Longevial, Peach Skin, 2021
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Inès Longevial, Untitled (for now), 2021
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Inès Longevial, Cream Cheese, 2021
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Ines Longevial, Beetroot to me 1, 2021
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Ines Longevial, Beetroot to me 2, 2021
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Ines Longevial, Domino Pink Yellow, 2021
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Inès Longevial, Untitled (for now), 2021
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Ines Longevial, Nude with Hands 1, 2021
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Ines Longevial, Nude with Hands 2, 2021