Inès Longevial : "L'autoportrait permet de parler de soi indirectement, et avec pudeur"

Melanie Mendelewitsch, L'Officiel, 13 April 2023

Rencontre avec la talentueuse artiste peintre révélée par Instagram qui multiplie les expériences et les supports, poursuivant son inlassable introspection à travers ses autoportraits poétiques à l'élégance éthérée.

 

Vous avez participé à l'exposition Premiers Vertiges qui vient de s'achever à la Galerie Ketabi-Bourdet. Pouvez-vous nous parler plus en détails des oeuvres que vous y avez présentées?

La peinture et le dessin sont depuis toujours mes moyens d'expression privilégiés. Mais lorsqu'on m'a proposé de prendre part à Premiers Vertiges, j’ai décidé de créer autrement en imaginant mon premier patchwork. C’est une idée qui germait depuis un moment, qui me renvoie à mon enfance et surtout à ma grand-mère, qui en coud depuis que je suis enfant. J’avais envie depuis longtemps d’un projet à quatre mains avec elle; j'ai donc imaginé cette oeuvre que nous avons fabriquée toutes les deux, qui totalise 472 morceaux assemblés. C’est un travail tellement personnel et introspectif que j’ai parfois même du mal à le relire! C est la première fois que j'intègre mes écrits à une oeuvre, des notes que j’ai prises au quotidien, des élements de ma vie que je récolte et qui forment une sorte de journal intime, de fenêtre ouverte sur mon processus créatif.

Quand j’étais petite, j'ai été marquée par La Cabeza de Nikki de Saint Phalle. Cette façon d'entrer dans la tête de l'artiste et de pénétrer l'intimité de son esprit m'a inspirée. Mes dessins y sont imprimés sur de la popeline. Il y a une chronologie et un sens de lecture, même si l’ensemble reste assez intuitif.

 

Vous y présentiez également un autoportrait, qui est votre medium de prédilection. Comment abordez vous cette forme artistique très spécifique?

J’ai toujours travaillé sur l’intime, toujours voulu peindre aussi. C’est une évidence, l’art a une véritable fonction thérapeutique et permet d’exprimer des choses qu’on ne se se dit parfois même pas à soi même. Je suis paradoxalement quelqu'un de très pudique, même si mon oeuvre explore toutes les facettes de l'autoportrait. J'applique d'ailleurs ma pudeur aux autres en me focalisant sur ma propre personne, car j’ai toujours l’impression de leur voler quelque chose en les représentant. L'autoportrait me permet aussi de parler de moi sans mots, de facon pudique et imagée. J’ai souvent travaillé sur la peau comme écran et sur des representations plutôt figées;  pour cette oeuvre présentée lors de Premiers Vertiges, j’ai justement essayé de créer du mouvement, de pénetrer sous la peau. J’aime l idée de s’oublier dans l’autoportait, de s’abandonner dans l'habitude et le confort de son propre reflet.
Ensuite, l’oeuvre ne nous appartient plus. Il arrive qu’on parle de douceur qui se dégage de mes oeuvres alors que celles-ci ont été motivées par quelque chose de sombre, de la colère. Chacun y voit et y projette ce qu’il veut!

 

Vous faites partie de la première génération d'artistes à avoir été revélés par Instagram, et vous êtes suivie par plus de 332 000 abonnés. Comment continue t-on à nourrir son inspiration quand on voit son travail si commenté, partagé et scruté?

J’ai fait une école de design et pas les Beaux arts; j'ai donc démarré par les arts appliqués et je crois que cela m’a amené un regard différent, notamment sur la question de l'inspiration.
On a tendance a croire que l’inspiration vous tombe dessus sans qu’on le cherche, de façon presque passive. C’est à mon sens une idée recue; l'inspiration se cultive, se nourrit, et mon parcours me l'a appris. Durant quelques années, j’avais stoppé mes collaborations avec les marques, que je reprends progressivement et uniquement avec des maisons qui me laissent la liberté créative nécéssaire. A part peut-être à mes débuts quand je venais de m’installer à Paris, j’ai toujours globalement réussi à dire non quand je ne me reconnaissais pas dans un projet.

J'ai aussi eu la chance de démarrer ma carrière aux débuts d’instagram, je n’ai pas été devorée par cette plateforme comme le sont parfois certains artistes. J'ai par exemple toujours refusé les commandes de particuliers, je tiens à garder cette distance avec mon audience et j'ai pris du recul par rapport aux réseaux sociaux.

 

Quels sont vos prochains projets ?

J’ai pas mal d’expos à venir, notamment une exposition collective au Château La Coste jusqu'à fin Mai. C'est un lieu hors du commun et je suis ravie d'y avoir ma place, de pouvoir l'investir via mes oeuvres. Il y a aussi la sortie du livre de Line Papin que j’ai la joie d’illustrer. Nous nous sommes rencontrées sur France Inter cet été et cela a donné lieu à une connection artistique puissante. Je ne connaissais pas ses livres et je les ai lus à cette occasion; elle a préfacé mon livre et j’illustre son recueil de poèmes, c’est une très belle rencontre. Je travaille également sur un projet de livre qui sortira bientôt aux Editions Rizzoli. Mais aussi sur une exposition solo à la galerie Ketabi Bourdet et à la galerie Almine Rech à Londres, ainsi qu'avec Veuve Cliquot sur une exposition itinérante baptisée Solaire Culture. Il y aura des artistes de toutes les générations, avec des profils très divers.

 

Y a t-il d'autres supports ou disciplines que vous aimeriez explorer?

J’adore l’écriture et j’aimerais un jour m’y consacrer, sans savoir précisement sous quelle forme. Il y a déjà une forme de narration qui s'exprime dans mon patchwork, et j’aimerais approfondir ca. La sculpture est également un domaine qui me passionne. Mais pas tout de suite, j'ai toute la vie pour ca.

 

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