" Dans mes peintures, je raconte une histoire, je cache des indices…"
Si nous avons déjà croisé son visage à travers ses autoportraits, aujourd’hui on rencontre l’Inès Longevial qui se cache derrière. L’artiste qui s’est fait connaître aux débuts d’Instagram , nous ouvre les portes de son atelier le temps d’une conversation intime sur son travail et sa prochaine exposition. Niché dans une petite impasse au cœur du 3ème arrondissement, son atelier se révèle être un véritable havre de paix. A l’image de ses tableaux, où elle cache des émotions et des indices, la pièce (étonnamment ordonnée) est truffée de symboles sous forme de poèmes, dessins, livres et, bien sûr, peintures qui permettent d’ajuster notre propre portrait de l’artiste.
Say Who:
Entourés de tes derniers tableaux, qui vont bientôt être exposés chez Ketabi Bourdet, nous reconnaissons tout de suite ce qui est devenu la quintessence de ton travail : l’autoportrait. D’où ce choix de sujet ?
Inès Longevial:
Pour moi, la peinture est quelque chose de très personnel, une sorte de journal intime. Dans mes peintures, je raconte une histoire, je cache des indices, j’y projette des émotions…et ça, je ne peux le faire que sur moi. Je peins depuis que je suis toute petite, et cela a toujours été un moyen de réguler certaines choses. Parfois j’ai des moments de pause car le processus peut m’écœurer. C’est comme si je disparaissais en quelques sortes. De toutes façons, une fois que j’arrive à mettre toutes les émotions que j’ai sur la toile, ou dans une série, je me débarrasse de quelque chose et je me sens vraiment bien. Cela dit il serait trop bizarre de projeter mes émotions sur le visage d’autrui, ça serait anti-naturel. Quand je peins quelqu’un d’autre j’ai l’impression de leur voler quelque chose. Ça m’arrive, parfois, de peindre ma sœur ou mes amis, mais après j’ai vraiment du mal à montrer ces peintures.
Say Who:
C’est intéressant que tu emploies le mot « voler » par rapport à la peinture, alors que normalement on lie cette notion plutôt à la photographie.
Inès Longevial:
Certes, mais tu vois, dans la peinture, il y a quelque chose de très charnel lié à la texture, dans l’application de chaque touche du pinceau. Quand t’es en train de peindre une personne, tu t’engages dans un rapport très méditatif sur sa peau. Je vais projeter des émotions et des sentiments très intimes. Et ce processus, me demande une implication qui est parfois dure à assumer.
Say Who:
Alors comment cette pratique si intime, voire thérapeutique, a-t-elle évolué pour devenir ta profession ?
Inès Longevial:
Au début, je ne savais pas que l’on pouvait vraiment en vivre. J’avais l’impression qu’il n’y avait que des expositions d’artistes déjà morts ! (rires) ou d’artistes très conceptuels, pas du tout dans la même veine que ce que je faisais…Mais, il n’y a pas si longtemps, j’ai réalisé qu’il existait un milieu dans lequel je pouvais faire des expositions.
Say Who:
Il y a aussi l’effet Instagram, qui a fait exploser la visibilité de ton travail. En fait, c’est comme ça que moi-même et beaucoup d’autres gens ont fait connaissance avec ton art à l’échelle internationale.
Inès Longevial:
Ça a joué un rôle majeur, indéniablement. Mon « début » c’était en 2013, quand Instagram était le nouveau truc. J’étais encore à Toulouse où je faisais mes études. Je voyais comment les gens partageaient tout, ce qu’ils mangeaient, avec qui ils étaient, ce qu’ils buvaient…je suis tombée aussi sur le profil de quelqu’un qui partageait ses peintures et je me suis dite, pourquoi pas partager mon travail moi ? Petit à petit j’ai commencé à poster ce que je faisais chaque jour – j’ai toujours fait beaucoup de dessins quotidiennement – mais aussi tout ce qui se passait autour de l’œuvre finale. Je faisais des posts en décrivant mon processus, les dessins préliminaires, la préparation des toiles et des peintures…on pouvait voir l’univers autour de la peinture. On perd toujours quelque chose, surtout quand on partage une photo où l’on manque l’expérience physique, le face-à-face de l’œuvre. Ensuite, une fois arrivée à Paris, j’ai commencé à recevoir des commandes. Au début, c’était pour un bar à Pigalle où chaque mois, je faisais une peinture avec les couleurs de la saison pour leurs invitations. Puis j’ai été repérée par une première galerie à Los Angeles, l’année d’après, une autre à San Francisco, enfin New York. Cela m’a permis de montrer mon travail aux États Unis, j’ai eu beaucoup de presse et quelques français ont commencé à s’intéresser à moi. Il y a 3 ans, j’ai fait la connaissance de Charlotte Ketabi qui m’a choisie comme première artiste pour lancer sa galerie après avoir été directrice de la galerie Nathalie Obadia.
Say Who:
Vu le côté intime de ton travail, comment prends-tu les critiques externes ? Y-a-t-il quelque chose que t’aimerais bien revendiquer ou reformuler ?
Inès Longevial:
Oui bien sûr. J’ai appris à prendre une distance avec l’oeuvre et ne pas trop y réfléchir car, en fait, une fois que t’as fini une peinture, elle ne t’appartient plus du tout. Dès que tu la partages, elle est aux autres. J’ai toujours trouvé très curieux que tout le monde me décrive comme « hyper douce et joyeuse » alors que pour moi mes toiles contiennent plutôt des touches de colère et de tristesse. Mais s’agissant de moi, je suis plutôt joyeuse! (rire).
Say Who:
Il s’agit de belles femmes, des mouvements souples et doux, de la légèreté, qui dégagent une sorte de fierté et une assurance très assumée…
Inès Longevial:
J’avais envie de dresser des portraits de femmes un peu guerrières, un peu écrasantes, et dans des postures que l’on n’a pas trop l’habitude de voir. Je voulais montrer une volonté de puissance et un regard presque de dominante. Véhiculer une force tranquille.
Say Who:
Peux-tu nous parler de tes sources d’inspiration ? Y a-t-il d’autres peintres que tu suis ?
Inès Longevial:
Oui, je vais voir des expositions d’artistes contemporains. La peinture n’est pas forcément ce qui nourrit le plus mon travail. Je préfère aller à l’opéra, par exemple. L’année dernière je suis allée voir une pièce de Pina Bausch qui m’a tellement émue que j’ai fondu en larmes. C’est du ballet contemporain, et c’est hyper inspirant. Mais aussi des pièces de théâtre, des livres, même de la cuisine !
Say Who:
J’allais poser la question, vu ton petit coin bibliothèque et des bouts de papier avec des citations collées sur le mur dans ton atelier. Que lis-tu en ce moment ?
Inès Longevial:
En ce moment, j’arrive pas trop à terminer À la recherche du temps perdu. Par ailleurs, je lis également Les Vrilles de la vigne de Colette. Je pense aussi à Henri Michaux avec Poteaux d’Angles. J’aime bien lire ses aphorismes, ses petites citations, ses poèmes…
Et puis, pour l’exposition à venir chez Ketabi Bourdet, je me suis inspirée du roman d’Italo Calvino, Le baron perché. C’est l’histoire d’un garçon qui refuse l’autorité de son père et qui, dans un geste de défi, grimpe dans les arbres, où il vivra toute sa vie d’homme. Cette idée m’a donné beaucoup d’images de projections de lumières et d’ombres sur les visages et les corps.
J’aimais bien aussi l’idée d’une connexion avec les arbres. Tu sais, on dit que quand on fait un câlin à un arbre… et justement, j’étais sur la Costa Brava parmi les pins, et j’ai eu envie de rendre hommage aux arbres, d’où le nom de l’exposition, « Perchée ».
Say Who:
On dirait un jardin d’Eden imprimé sur leur peau ! On voit des racines et des animaux se mêler avec les corps, ce qui caractérise aussi ton travail.
Inès Longevial:
C’est exactement ça, un jardin sur la peau. En imaginant ces corps perchés, je voulais incorporer le jeu de la lumière, les ombres, et toutes sortes de fleurs et d’animaux constituant leur univers, que l’on retrouverait sur leur corps. Dans cette série, j’ai mis des pins, des oiseaux, des fourmies, des hirondelles…un peu tout ce que tu peux trouver sur la Costa Brava. J’aime bien ajouter ces petits symboles, comme le papillon en feu ou le serpent, qui se répètent dans pas mal de mes peintures, et qui racontent une histoire de résurrection : la mue du serpent, la métamorphose des papillons…J’ai aussi beaucoup travaillé sur des corps où les ombres se superposent comme des sortes de cicatrices sur la peau, qui témoignent des aléas d’une vie.
Say Who:
Dans cette série, tu présentes aussi des dessins sur des serviettes. Tu nous as montré aussi un travail de tissage réalisé en collaboration avec ta grand-mère. As-tu envie de te lancer dans des nouveaux supports ?
Inès Longevial:
J’étais toujours en Espagne, dans un café, quand j’ai vu ces serviettes qui se plient en trois parties et qui m’ont fait penser au cadavre exquis. J’ai repris l’idée mais toute seule : j’en commençais plusieurs, les pliais, et puis comme j’avais oublié ce que j’avais dessiné je poursuivais selon mon inspiration. J’aimerais bien aussi essayer la sculpture, mais je n’ai pas encore trouvé quoi faire. Puis j’ai travaillé avec ma grand-mère, qui a toujours tissé des plaids et qui garde un sens de la couleur incroyable. Elle assemble mes dessins, post-its et autres peintures.
Say Who:
Ton support de prédilection c’est la toile alors ?
Inès Longevial:
La toile et le papier. La toile demande plus de force physique, cela demande un investissement corporel, alors qu’avec le papier je suis un peu plus tranquille. Je ne les réalise pas non plus dans les mêmes conditions : avec le papier, je suis chez moi, tranquillement devant la télé par exemple, et je me laisse vraiment guider, c’est plus intuitif. Je prends un peu plus de liberté avec la couleur, j’autorise un peu de noir sur le papier, alors que sur la toile, c’est beaucoup plus rare, quelque chose de plus conscient.
Say Who:
Tu ne signes pas tes toiles. Considère tu qu’on sait reconnaître une peinture signée Inès Longevial ?
Inès Longevial:
Je signe au dos ! Pour moi la signature prend trop d’attention et et dénature la toile. Après il y a des signatures hyper belles, regarde Modigliani par exemple, il semblerait que la signature fasse partie de la peinture.
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